Proust en littérature comparée:
Du côté de chez Proust
Marie-Claire Planche
Je profite de l’été pour plonger dans Proust, avec pour projet de relire toute La Recherche, j’ai déjà bien avancé. Cependant avant d’achever, pour vous proposer quelques réflexions, j’ai lu Le temps retrouvé. Ce dernier volume, comme les précédents laisse la part belle à l’art, ouvrant notamment sur un pastiche du Journal des frères Goncourt. Le jeu sur les images et leur circulation par rapport à la mémoire est un classique de l’écriture proustienne qui trouve de nombreux échos dans l’écriture de Walter Benjamin, qui traduisit Proust.
Pour l’oral, l’une des difficultés du volume réside dans la situation des extraits les uns par rapport aux autres. Les récits ou les réflexions enchâssés suivent les détours de la pensée et certaines digressions éloignent du premier plan. Il en est ainsi du moment où le narrateur attend dans la bibliothèque des Guermantes.
La question du temps et du vieillissement, qui se déploie en observant les invités des Guermantes, apparaît comme une toile sur laquelle les masques, les fantômes (?) échappent à la réalité. Ce sont des portraits de la vieillesse où tout le monde (ou presque) a changé, où chacun peine à reconnaître l’autre.
Les réflexions sur l’art et la littérature font un peu référence à l’Ut pictura poesis, mais pas seulement dans la mesure où ces arts ne sont pas mis en concurrence. Le narrateur s’intéresse aux rapports entre l’art et la nature, entre l’art et la réalité, entre l’art et la création. Enfin, il dénigre un art populaire, une idée qui lui « semblait ridicule ». En outre, Proust montre une connaissance assez fine de la peinture et des goûts (voir exposition BnF http://expositions.bnf.fr/proust/salles/index.htm). Les évocations nombreuses font référence à l’art ancien (L’enterrement du comte d’Orgaz du Greco, Raphaël, Carpaccio…), et à des artistes plus récents (Whistler, Renoir, Monet, Manet…). Les Ballets russes et leur décorateur Léon Bakst occupent Mme Verdurin dont l’avis sur l’art est assez ferme : « D’ailleurs les Verdurin, par le progrès fatal de l’esthétisme qui finit par se manger la queue, disaient ne pas pouvoir supporter le modern style (de plus c’était munichois) ni les appartements blancs et n’aimaient plus que les vieux meubles français dans un décor sombre ». Les Orientalistes et Delacroix sont convoqués, tout comme les peintres de l’Empire et la célèbre posture de Juliette Récamier peinte par David. Le livre illustré est présent à travers le terme de « livres à images », mais aussi par l’importance d’une édition de François le Champi (sur la présence de l’ouvrage dans La Recherche
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1980_num_37_1_1195)
feuilletée dans la bibliothèque Guermantes, qui renvoie à Combray. Enfin, l’intérêt pour le XVIIIe siècle fait écho aux aménagements de la demeure des Swann : Odette passant de l’Orient au XVIIIe.
Le pastiche du Journal des frères Goncourt
C’est un véritable “morceau” qui occupe le début du volume : Gilberte prête au narrateur « un volume du journal inédit des Goncourt […] Voici les pages que je lus jusqu’à ce que la fatigue me fermât les yeux ». Les personnages de La Recherche sont associés aux œuvres d’art dans un ensemble qui recrée l’esprit des Salons et des collectionneurs.
- Un article de référence qui propose une étude précise. La question du pastiche est explicité, et les références artistiques, notamment à St Aubin sont documentées.
Numérisé sur Gallica : http://gallicalabs.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5652696d/f65.item
- Une communication qui présente le projet des Goncourt et le pastiche de Proust :
- Un article sur la question du pastiche : https://contextes.revues.org/59
- Les publications d’une universitaire spécialiste de l’intertextualité chez Proust, Annick Bouillaguet :
Proust et les Goncourt : le pastiche du Journal dans Le Temps retrouvé, Minard, coll. « Archives des lettres modernes », 1997.
« Le pastiche chez Proust : une affaire de style », Bulletin d’informations proustiennes 2006, n° 36.
« Proust lecteur des Goncourt : du pastiche satirique à l’imitation sérieuse », Les frères Goncourt : art et écriture, édition préparée par Jean-Louis Cabanès, Presses Universitaires de Bordeaux, 1997.
« Proust et les Goncourt : la phase cachée d’une réécriture », Bulletin Marcel Proust, 1995, n° 45.