"Un dimanche à la campagne": lire avant de (re)voir
A part une impression globale favorable, je ne me rappelle du film de Tavernier, vu à sa sortie en 1984 (...) que deux choses: Louis Ducreux voulant retenir, pour lui parler?, pour l'embrasser?, le papillon Azéma, déjà envolé et cette dernière se faisant la prophétie intérieure que sa petite nièce ne vivrait pas.
Souvenirs exacts? A vérifier...
J'ai en effet décidé de commencer par la lecture du roman de Pierre Bost qui est à l'origine du scénario écrit par Bertrand et Colo Tavernier.
Pierre Bost, mort en 1975, est l'un des plus célèbres scénaristes du cinéma français des années 50 et 60. Il a beaucoup travaillé avec Jean Aurenche. Tous eux incarnent "une certaine tendance du cinéma français" que François Truffaut attaqua dans un article célèbre des Cahiers du cinéma en 1954. Mais tout le monde ne partageait pas le point de vue truffaldien et le duo travailla avec Bertrand Tavernier dans les années 70.
Je dois dire que le roman de Pierre Bost ne m'inspirait rien qui vaille... ce titre, par exemple Monsieur Ladmiral va bientôt mourir... mmm... et bien, j'avais tort. Ce fut une excellente lecture, un récit bien mené, plein de vivacité.
Le roman raconte bien un dimanche à la campagne mais son titre place davantage que le film les événements de cette journée et en particulier la visite éclair d'Irène, la fille chérie, sous l'éclairage dramatisant de la dernière fois et du bilan. Monsieur Ladmiral a été en effet un peintre académique qui, quoi qu'intéressé par certaines tentatives d'avant-garde, a préféré ne pas quitter le confort de la tradition. On sait que sa fille Irène n'aime pas sa peinture mais ce point reste peu développé.
Le titre choisi par Tavernier pour son film est intéressant dans la mesure où il semble renforcer cette orientation picturale. En effet, comment ne pas penser à Partie de campagne de Jean Renoir (1936) et ensuite au père de ce dernier, Auguste Renoir, qui s'il n'est pas évoqué dans le roman de Bost, doit être le comtemporain de Monsieur Ladmiral?... Cette piste est sans doute à creuser car elle résoudrait ce qui m'est apparu comme un problème: si le récit de Bost est effectivement charmant, on se demande en le lisant ce qu'il peut recéler de cinématographique.
Les points intéressants à étudier dans le roman (il faudra voir si cela se confirme après avoir visionné le film) seraient les suivants: la relation père-fille, la communication ou la communication familiale, le sommeil, le temps, le dit et le non-dit, et bien sûr la peinture.
Pour terminer, voici un extrait du roman de Bost, correspondant à l'arrivée d'Irène:
(A noter que cette arrivée se produit à la page 69, que le départ s'effectue page 100 sur un roman qui en compte 103.)
L’aboiement d’un chien les réveilla, et le galop d’une grosse bête, qui faisait crisser ses ongles sur les dalles du corridor et se jetait contre les murs. La porte s’ouvrit à grand fracas. Le chien, un caniche noir, efflanqué, moustachu, frisé et gesticulant, se rua à travers la pièce, reniflant et jappant. Marie-Thérèse, réveillée en plein cauchemar, se recroquevilla sur son divan. Gonzague porta la main à son col, pour réparer le désordre de sa toilette. Le chien, après avoir déraciné un guéridon trop léger, avait déjà disparu. Il ne restait plus, debout dans l’embrasure de la porte qu’une jeune femme très élégante et très maquillée qui brandissait la petite Mireille au bout de ses deux bras robustes, et criait :
- Debout, là-dedans ! J’ai trouvé ça. C’est à vous ?
C’était Irène, la sœur de Gonzague. Solidement campée sur ses jambes, vêtue d’un tailleur de grosse étoffe qui sentait le luxe et le wagon-lit, elle riait à grandes dents. Elle posa Mireille sur le sol et alla ouvrir les volets d’une fenêtre. La pièce fut illuminée de soleil.
- Tiens ? dit Edouard, c’est toi ? Bonjour.
Il prenait ce ton de voix indifférent, dégagé mais rauque, par lequel on veut faire croire qu’on n’a pas été réveillée en sursaut. Marie-Thérèse, elle, ne cherchait pas tant de finesse. Elle grouillait sur le canapé, tout engourdie et poisseuse de sommeil, écartant une mèche humide qui barrait son front.
- Qu’est-ce que c’est ? Ah ? c’est vous ?
Elle s’assit, tira sur ses jupes, enfila ses souliers qu’elle avait enlevés pour dormir, et qui maintenant avaient diminué d’une pointure.
Irène serra la main de son frère et de sa belle-sœur.
- Vous allez bien, oui ? En voilà une heure pour dormir, vous n’avez pas honte, pour des gens laborieux et respectables ? Où est le maître ? Et vos chers autres petits chérubins ?
- Papa dort sous la tonnelle, dit Gonzague. Ne le réveille pas.
- Ca ne lui vaut rien de dormir comme ça, dit Irène. Vous avez tort de le laisser faire.
Elle sortit de la pièce en coup de vent. On l’entendit appeler son chien d’une grande voix. Marie-Thérèse, tiraillant de chaque côté de ses cuisses, et se déhanchant, remettait sa gaine en place. Edouard s’était levé et travaillait à son col, les coudes levés, la tête tordue en arrière, avec une grimace de souffrance.
- Elle va réveiller papa, c’est ridicule !
- Mercédès, de son côté, entendant Irène courir à travers la maison, avait tremblé elle aussi. La sieste de Monsieur Ladmiral allait être interrompue, que la servante elle-même respectait. Elle sortit de sa cuisine, prête à imposer le silence.
- Bonjour Mercédès, cria Irène au passage. Je vous ai apporté des pamplemousses, Monsieur les adore ça, vous les trouverez dans la voiture.
- Toujours courant, elle se débarrassait de sa veste, l’accrochait au passage à une patère du vestibule, sautait d’un bond dans le jardin en appelant : « Hé ! Ho ! » et s’avançait de son grand pas vers la tonnelle, en faisant gicler les cailloux.
Monsieur Ladmiral, réveillé, eut un mouvement et fit tomber le journal qui abritait sa tête. Un court instant on distingua la bouche un peu tordue, l’œil vague, d’un vieillard qui se réveille mal ; c’était le mauvais passage. Monsieur Ladmiral, pas content du tout, cherchait du regard autour de lui, pour s’en prendre à Emile ou à Lucien. Il aperçut sa fille, et son visage s’illumina.
- Irène !
(Pierre BOST: Monsieur Ladmiral va bientôt mourir, pp. 69-72, Gallimard, 1945)