"Lectures des Faux-Monnayeurs" aux Presses universitaires de Rennes
(par Gilles Panabières)
Lectures des Faux-Monnayeurs, recueil publié sous la direction de Franck Lestringant aux Presses universitaires de Rennes, a pour principal mérite de mettre en évidence la richesse du roman de Gide, qui donne lieu ici à des analyses générales, puis à des approches génétiques et biographiques, et enfin à des exégèses concernant plutôt la forme du roman.
Les trois premières études, les plus intéressantes de l’ouvrage selon moi, sont centrées autour de la problématique générale de la complexité des idées de Gide, en matière aussi bien esthétiques, que morales ou politiques. Tout d’abord, Franck Lestringant présente Les Faux-Monnayeurs comme un roman ambigu, mettant en tension deux conceptions esthétiques difficilement conciliables, celle du « roman pur » d’une part, celle du « roman touffe » d’autre part : d’un côté, Gide semble vouloir faire une œuvre abstraite, réduite à une épure géométrique, de l’autre, il intègre dans son roman toutes les poussières qui font toute la menue monnaie de la vie. Dans le deuxième article, Jean-Michel Wittmann, dans la lignée de ses travaux sur la dimension politique de l’œuvre gidienne, analyse d’une façon magistrale comment Gide, tout en refusant de construire un roman à thèse, oriente néanmoins son lecteur, de façon à lui insuffler certaines opinions et certaines idées. Puis Alain Goulet analyse en détail les significations multiples du titre du livre. Les faux-monnayeurs, en effet, ce sont à la fois les personnages qui se livrent dans le roman à un trafic de fausse monnaie, les écrivains qui ne cherchent que le succès facile, les personnages qui mentent aux autres, ceux qui se mentent à eux-mêmes, ceux qui promeuvent de fausses valeurs. En fin de compte, Gide nous introduit dans un univers où l’inauthenticité est monnaie courante.
Les cinq études suivantes, réunies dans une deuxième partie intitulée « le roman et le réel », analysent toutes, d’une manière ou d’une autre, la méthode gidienne qui consiste à se servir d’éléments de sa vie ou de son temps pour créer des personnages et des situations. Ainsi, Alain Goulet analyse l’investissement autobiographique dans le roman, Franck Lestringant évoque la satire du protestantisme dans l’œuvre, puis, dans un autre article, le goût de Gide pour les faits divers, dont il se sert explicitement pour deux éléments importants de l’intrigue de son livre (le trafic de fausse-monnaie et le suicide final du petit Boris). Martine Sagaert dresse, elle, un tableau des principales figures féminines qui interviennent dans Les Faux-Monnayeurs. François Bompaire évoque, dans l’article suivant, la crise de la justice telle qu’elle apparaît dans le roman.
La troisième partie du recueil, intitulée « une poétique du roman », regroupe des articles analysant plutôt la forme des Faux-Monnayeurs, en partant d’un élément précis. Ainsi Franck Lestringant analyse la notion de pureté ; Stéphanie Bertrand étudie les nombreux aphorismes du roman, perçus comme des symboles d’inauthenticité ; Peter Schnyder met en rapport les Faux-Monnayeurs et la musique, notamment car Edouard déclare dans le roman : « ce que je voudrais faire […], c’est quelque chose qui serait comme L’Art de la fugue ». Enfin, Aliocha Wald-Lasowski met en évidence la filiation entre Gide et le philosophe Jacques Derrida, dont la pensée (la « déconstruction ») peut être mise en connexion avec l’écriture romanesque gidienne.
Au final, ce que fait émerger cet ensemble d’études, c’est la complexité du roman de Gide, ainsi que la pensée en mouvement de l’écrivain, son refus de tout dogmatisme, qui le pousse sans cesse à remettre en question toute opinion.
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