> Rousseau - Les Confessions (T.1 à 6)
"Annecy" dans Les Confessions
Pistes pour une leçon
La ville d'Annecy est évoquée dans les livres II à IV des Confessions: Rousseau va y faire trois séjours distincts: le premier ne dure que trois jours, du 21 au 24 mars 1728 mais il y fait une rencontre capitale, celle de Mme de Warens, rencontre qui transforme immédiatement ce lieu qui aurait dû être provisoire en point d'attache. Au retour de Turin, Rousseau va vivre de juin 1729 à avril 1730 à Annecy chez Mme de Warens puis au livre IV, ce sera le récit de sa vie à Annecy pendant l’été 1730 sans Mme de Warens, partie pour une mystérieuse destination.
Annecy est dans Les Confessions un lieu doublement lié au sacré, peut-être même s'y produit-il un miracle (cf. pp. 133-134). La description qu'en fait Rousseau mentionne essentiellement des établissements religieux, le « séminaire », la « maîtrise » de la cathédrale, le « couvent de la Visitation », « l’église des Cordeliers » qui nous rappellent que Rousseau vient à Annecy pour être converti au catholicisme. "Dieu vous appelle (...) Allez à Annecy" lui dit le curé de Pontverre. Cette formule nous engage à voir la rencontre avec Mme de Warens, autre miracle, comme nécessaire et providentielle, ouvrant sur un nouvel Eden après la sortie de Genève.
Aussi peut-on dire qu'Annecy et Mme de Warens se confondent. En arrivant Annecy, ce n'est pas la ville qu'il voit, c'est elle. "J'arrive enfin; je vois Mme de Warens". Mme de Warens lui dissimule la ville, d'ailleurs très peu décrite. Celui qui ne sait pas qu'il y a un lac à Annecy ne l'apprendra pas en lisant Les Confessions... ce qui étonne quand on sait l'amour que J.J portait au lac Léman. En tout cas remarque-t-on que la topographie d’Annecy est bien lacunaire. L’assimilation est donc immédiate entre la ville savoyarde et un être au "visage pétri de grâces" pour lequel il éprouve un immédiat coup de foudre. Plus encore que la ville, la maison annécienne de Mme de Warens se confond avec celle qui l’occupe. Relisons les pages 119 et 120 des Confessions et cette phrase : « Combien de fois j’ai baisé mon lit en songeant qu’elle y avait couché ; mes rideaux, tous les meubles de ma chambre, en songeant qu’ils étaient à elle, que sa belle main les avait touchés ». Autrement dit, Mme de Warens est la demeure du jeune homme et Annecy un ventre maternel ou se prolonge l’enfance à travers leur « babil intarissable ».
Outre le fait qu'il s'agisse d'un lieu fortement lié au catholicisme puisque Annecy est le siège de l'évêché de Genève, Annecy est sacré dans le sens ou Rousseau considère sa rencontre avec Mme de Warens comme un événement primordial qu'il convient de commémorer. La suite de l’ouvrage fait état d’une série de reprises de ce moment, chaque retour de Rousseau auprès de Maman étant l’égal d’un rituel religieux voué à renouveler le miracle de la rencontre. (cf. étude littéraire des pp. 301-312) Le lieu de la rencontre est comparé à ces "monuments du salut des hommes" et, conformément au voeu de Rouseau, entouré depuis 1928 d'un balustre d'or. Le curé de Pontverre parlait de conversion, Rousseau va plus loin en utilisant le terme de « salut ». L’enjeu n’est pas le calviniste ou le catholicisme mais la rédemption ou la damnation.
A Annecy, la vie de Rousseau change radicalement, la ville est le lieu d'une rupture avec le passé. S'y produit un transfert de l'autorité parentale, d'Isaac Rousseau à Mme de Warens (cf. pp. 59-60). Son père ayant renoncé à le chercher, Rousseau voit alors la maison de sa bienfaitrice comme sa "maison paternelle". Aussi peut-on considérer Annecy comme un lieu de l'origine, véritable pivot entre Genève où il naît et Les Charmettes dont il aura une vision prophétique (p. 118) et où il connaîtra le bonheur ; A Annecy, Rousseau retrouve maints aspects agréables de son enfance et nous lecteurs maints épisodes du livre I, la verdure de Bossey, une mère qu'on désire sans oser la désirer (comme Melle Lambercier), une mère qui chante (comme tante Suzon) mais aussi des aspects moins agréables comme la dureté des maîtres d’apprentissage. Tous ces recommencements contribuent d'ailleurs, et alors que Rousseau a plus de seize ans, à dilater exagérément ce temps de l'enfance. Lieu de l'origine puisque Mme de Warens est une nouvelle mère, Annecy est aussi un lieu de formation intellectuelle et morale sous la houlette de cette mère-créatrice qui le « conduit » mais aussi du juge-maje Simon qu’il retournera voir par la suite. « J’ai reçu de lui des leçons utiles » (p.158) Le séjour à Annecy a "décidé" du "caractère" de Rousseau et il y fait donc plusieurs apprentissages, pour devenir prêtre puis musicien, presque aussi difficilement l'un que l'autre à tel point que l'on peut se demander si le jeune homme ne se conduit pas comme un enfant adopté multipliant les incartades pour tester la patience de ses nouveaux parents . Le test réussit puisque, nous dit Rousseau "Elle ne m'abandonna pas". Dans cette ville, Rousseau est donc bien encore un enfant: d'autres décident pour lui de son destin, Maman, bien entendu mais aussi M. Sabran (p. 61) et Melle Giraud (p.159).
Plus encore que les Charmettes où J.J avait le souci de voir la situation financière de Maman se dégrader, Annecy est le temps du bonheur, de l'innocence et de l'insouciance, le temps de "l'ivresse" aussi. Si l'on se reporte aux pages 135 et 136 consacrées à la vie à la maîtrise, on voit le bonheur de la réminiscence à l’abondance des détails que donne l’auteur. D’autre part, Annecy réalise son idéal d’union amoureuse. En effet, dans une ville marquée par une forte présence du féminin – Maman, Merceret, Melle Giraud, Melle Galley, Melle de Graffenreid- Rousseau vit un éveil amoureux sur le mode de l’inaccomplissement. Avec Merceret, il fait le Joseph et avec Melle Galley et Melle de Graffenried il vit une journée délicieuse sans être allé plus loin qu’un baiser sur la main de Melle Galley mais, nous dit-il « l’innocence des moeurs a sa volupté ». A Annecy, l’amour ne se complique pas de l’union sexuelle, Rousseau y vit seulement une initiation à la sensualité.
Pour traiter cette leçon, on pourrait donc choisir la problématique suivante : En quoi Annecy, ville géographiquement à mi-chemin entre Genève et Chambéry, correspond-elle aussi à un pivot temporel dans la vie de Rousseau entre recommencement de l’enfance et initiation à la vie d’adulte?
Plan :
1- Un lieu de l’origine
2- Un lieu sacré
3- Un lieu du bonheur et de l’innocence
Ce sujet a beaucoup de « voisins » : "Chambéry", "Genève", "Annecy et Chambéry", "Les Lieux", etc.
FV