> François Truffaut "Vivement Dimanche!"
Le Féminin dans Vivement dimanche ! de Truffaut : Pistes pour une leçon
Le personnel féminin de Vivement dimanche ! se compose pour l’essentiel de quatre personnages : Barbara, Marie-Christine Vercel, Paula Delbèque la caissière de l’Eden et la jeune secrétaire venant postuler à l’agence immobilière. On peut compléter cette liste avec d’autres personnages féminins, plus secondaires, telle la prostituée s’offensant de voir Barbara choisir ses clients ou bien les secrétaires de Maître Clément. Certaines appartiennent à un type bien déterminé, la femme fatale pour MC, la secrétaire amoureuse pour Barbara (pensons à la célèbre Miss Moneypenny de la série des James Bond). Restons pour l’instant sur cette liste abrégée pour constater que ces quatre personnages forment une sorte de cercle, chacune étant liée à l’autre par un lien : Barbara et MC Vercel sont toutes deux, l’une au début, l’autre à la fin du film l’épouse de Julien Vercel et chacune possède dans le film un double parodique et donc dégradé. Pour MC l’esthéticienne, il s’agit de la toiletteuse pour chien, créature à l’allure très masculine sise en face de l’agence Vercel, pour Barbara, c’est la jeune actrice ânonnant son texte lors de la dernière répétition (1h01). J-L Libois , dans son ouvrage aux éditions Atlande (p. 109), remarque que l’idée de la dégradation de la beauté féminine, est figurée à travers une photo de Judy Garland vieillissante dans le cabinet de Maître Clément. MC et Paula Delbèque ont pour lien d’avoir été la maîtresse de Massoulier et de n’exister d’abord qu’à travers une voix (au téléphone pour MC, au téléphone puis à travers la porte du cabinet de l’avocat pour Paula). Voix pathétique pour Paula Delbèque, femme « brisée » qui au-delà de sa fonction délatrice exprime surtout une passion déchirante et l’horreur de la solitude (On pense à La Voix humaine de Cocteau) , voix colérique de MC qui classent les deux femmes dans le domaine de l’hystérie. Quant à la jeune femme qui vient pour chercher un emploi, elle est blonde comme MC, affiche la même assurance sur l’efficacité de ses charmes qu’elle affiche d’ailleurs tout autant mais est destinée dans le même temps à remplacer Barbara. Il existe donc un curieux jeu de miroirs entre les principaux personnages féminins du film.
Le féminin fait-il l’objet d’une mise en valeur ? Certes oui, à travers le personnage de Barbara, personnage dynamique, positif, loyal et qui est le seul à évoluer, qui s’adresse à la caméra pour révéler la solution du mystère (1h40), personnage qui révèle l’amour du réalisateur pour son actrice à travers les nombreux gros plans du visage de Fanny Ardant (9mn ; 18mn ; 26 mn etc. )et les surcadrages qui lui font un écrin (la porte du décor pendant la répétition à 20mn par exemple). MC est elle aussi mise en valeur mais davantage quand elle est morte que vive. La première image de son cadavre apparaît dans un miroir comme pour souligner le narcissisme de cette femme égoïste et insensible, mais toujours belle dans la mort. En revanche, le féminin fait souvent l’objet d’un morcellement , le corps est réduit à l’une de ses parties sur lequel se fixe presqu’exclusivement le regard masculin. Tout d’abord les jambes, celles de Marie-Christine (cf. séquence 9) dans une scène complexe où le regard du spectateur s’aimante sur ces seules jambes alors que Julien Vercel voit quant à lui un spectacle plus équivoque mais qui nous est interdit, les jambes de femmes inconnues puis celles de Barbara à travers le soupirail de la cave, et ensuite la blondeur, obsession de Vercel qui l’empêche de voir la brune beauté de Barbara. La blondeur, les jambes élancées, voilà bien deux séductions spécifiques du sexe féminin. Ce regard sélectif de la caméra sur une partie du corps peut n’être considéré que comme un simple plan rapproché ou un gros plan élogieux mais il est aussi tentative pour transformer la femme en objet, l’étape ultime de ce processus étant le mannequin dans l’ancien institut de beauté (1h41). A la fin du film, les femmes sont rendues responsables de la série des crimes par l’éloge paradoxal de Maître Clément, ce qui outrepasse le stéréotype de la femme fatale porteuse de mort incarné par MC Vercel. On tue à cause des femmes, les femmes peuvent avoir des morts sur la conscience mais c’est une femme qui répare cette injuste adéquation en résolvant l’énigme criminelle. Barbara représente alors l’inverse de Kansas, la secrétaire de Phantom Lady (1944) de Robert Siodmak, qui sème la mort autour d’elle. Barbara et MC dissocient deux aspects différents de Kansas, à la fois femme fatale et secrétaire. Le personnage de Truffaut a comme première réplique « C’est la vie ! », cette réplique la définit entièrement. A Marie-Christine la mort, à elle la vie.
Sans qu’il soit véritablement dévalorisé, le féminin entre souvent dans le film de Truffaut en rivalité avec des éléments masculins. La substitution, l’hésitation entre masculin et féminin court tout au long du film. Ainsi Barbara , à l’opposé de la féminité exacerbée de MC, incarne-t-elle un personnage androgyne, dans son costume tout d’abord. Son échappée du théâtre la fait mener toute la première partie de son enquête dans un costume de page (19 mn) sur lequel elle a revêtu un imperméable qui certes l’associe à Lauren Bacall mais qui est avant tout la propriété d’un homme, Julien Vercel. L’habit faisant le moine et l’imperméable le détective, Barbara se trouve investie d’une fonction plus masculine que féminine. Et cela d’autant plus que les rôles s’échangeant jusqu’au bout, c’est Julien Vercel qui reste passif dans la cave de l’agence tandis qu’elle agit à l’extérieur, conduisant ou même réparant une voiture.[i] En outre, d’autres éléments dépouillent quelque peu Vercel de sa virilité pour l’assimiler plus radicalement encore à une condition féminine, sa voix douce, sa naïveté face au comportement de sa femme, son absence de bonheur à la chasse. Barbara sera plus heureuse dans la chasse à la vérité. On opposera aussi deux scènes du film, une première pendant laquelle Barbara prépare le café à son patron puis une seconde pendant laquelle c’est Vercel qui se charge de cette tâche. Cet échange entre attributs masculins et féminins est l’une des manières d’affirmer la suprématie de la femme sur l’homme dans l’univers de Truffaut mais c’est aussi un ressort du comique. Citons ainsi la méprise de Barbara voyons derrière le prénom « Louison » une femme alors qu’il s’agit d’un homme. Humour mais aussi révélateur d’une certaine innocence de Barbara vis-à-vis du sexe.
Si Barbara se dégage du groupe des personnages féminins, ce n’est pas seulement parce qu’elle apparaît dans une grande majorité des scènes , mais aussi parce qu’au contraire de MC, de Paula Delbèque et des prostituées, elle n’appartient pas à un univers interlope, ni même à l’univers de la séduction et se caractérise au contraire par une belle innocence. A de nombreux égards, Barbara semble une enfant, elle en a l’impertinence, son enquête en collants la rapproche d’une sorte de Fantômette, elle n’est pas à l’aise avec la dimension physique de l’amour. Son enquête dans des milieux troubles à Nice possède une dimension initiatique : on pourrait dire qu’elle devient une femme comme grandit un enfant, par le jeu. Dans la pièce de théâtre qu’elle joue en amateur, elle incarne Blanche, une jeune fille, ce qu’elle semble être à ce moment. En effet, même si Barbara est divorcée ce qui sous-entend une certaine expérience de la vie, la drague lui est incompréhensible et les attentions pressantes de son ex-mari l’incommodent. En jouant la détective, la prostituée, la « bourgeoise » de Santelli, Barbara va évoluer, ce que permet de comprendre la dernière séquence du film qui nous la montre mariée et enceinte. Cette dernière image de Barbara est d’ailleurs ambiguë : on sait que les mères n’ont pas une excellente image dans l’œuvre de Truffaut. Difficile pour autant de faire de cette séquence ou revient la musique guillerette du début une lecture qui condamne Barbara. N’est-elle pas d’ailleurs couronnée d’une sorte de diadème ? Soit le réalisateur fait confiance à ce personnage-là pour devenir une mère –ne l’a-t-elle pas déjà été en protégeant Vercel ? – soit la grossesse et les enfants de chœur ne sont qu’une façon de la valoriser en l’associant définitivement à l’enfance et ses facéties ainsi qu’à la vie, à la vitalité déjà évoquées.
Si l’enquête constitue pour Barbara une aventure initiatique, il en est de même pour Julien Vercel qui va changer de regard sur les femmes. Au début du film Vercel n’aime que les femmes artificielles, il suffit de voir les reproches que lui adresse Barbara (1h 31) à propos de son goût des « fausses blondes platinées », aux « faux ongles » et « faux cils », la répétition de l’adjectif « faux » colorant négativement la sophistication de MC. Prisonnier d’une représentation fantasmatique et forcément limitée de la femme - il aime les jambes, il aime la blondeur - Vercel ne voit littéralement pas Barbara. Paradoxalement, le parcours de Barbara à travers ses différents déguisements va permettre à Vercel de la reconnaître, de la voir telle qu’elle est. L’intrigue évolue donc dans le sens d’un dépassement des stéréotypes, alors même que le dénouement apparaît très conventionnel. Barbara devient la femme de Vercel, elle ne sera pas ce dont l’accuse Bertrand, c’est-à-dire la secrétaire maîtresse de son patron et Vercel va se détacher d’une représentation figée de la femme, proche de la tête à coiffer de l’institut Marie-Christine pour épouser quelqu’un qui n’est pas son « genre ».
L’étude du féminin dans le film Vivement dimanche ! c’est-à-dire l’étude des personnages féminins, des emplois stéréotypés ou originaux qu’ils occupent mais aussi de différentes définitions de la féminité, de la répartition des attributs et comportements considérés comme spécifiques du sexe féminin semble s’amorcer sous l’angle du contraste : brune contre blonde, femme adultère contre secrétaire fidèle, beauté sophistiquée contre innocence enfantine, vie contre mort, les clivages sont infinis. Ne peut-on pas alors se demander comment le féminin vat-il sortir triomphant d’une lutte avec la morbidité, l’androgynie et l’artifice ?
Plan
1- Grandeur et décadence du féminin
2- Masculin féminin
3- Le féminin entre vérité et artifice
[i] On pense à cet égard à la lettre qu’envoya J-L Trintignant à F.Truffaut en 1979 dans laquelle il évoquait la condition d’acteur qui est « d’attendre d’être choisi », une « condition un peu féminine »
FV