Programme 2013 : Leçon

> Mme de Sévigné - Lettres de l'année 1671

"Marie-Blanche"

Proposition de leçon

 

La postérité a retenu le nom de Pauline de Simiane, petite-fille de Madame de Sévigné, qui à partir de 1734 commanda à Denis-Marius Perrin  une édition des lettres de sa grand-mère. C’est cependant une autre petite-fille, Marie-Blanche de Grignan, qui est évoquée dans les Lettres de 1671. Marie-Blanche, née en novembre 1670 est confiée à la garde de sa grand-mère quand Françoise de Grignan part retrouver son mari en Provence. Tout naturellement, les lettres de Mme de Sévigné vont régulièrement donner des nouvelles de cette enfant à la mère de cette dernière, une mère pour qui Marie-Blanche est presque une inconnue puisqu’elle n’était âgée que de 2 mois et demi au moment du départ pour la Provence. Les évocations ont donc pour fonction non seulement de rassurer Mme de Grignan sur la santé de son enfant mais, plus certainement encore, de la faire exister à ses yeux. Ainsi suivrons-nous l’évolution de l’enfant tout au long de sa première année. Mais au-delà de cet enjeu informatif, l’évocation de la toute petite enfance semble être une gageure. Dans le chapitre « La découverte de l’enfance » du célèbre ouvrage de Philippe Ariès L’Enfant et la Vie familiale sous l’ancien Régime, l’auteur montre que si le 17ème siècle entretient un rapport à l’enfance bien différent du nôtre, c’est à cette même époque que l’enfant fait son entrée dans la représentation artistique : l’enfant mérite d’être portraituré et il devient un personnage littéraire : on peut penser aux jeunes héros des Contes de Perrault ou au Télémaque de Fénelon. Nous retrouvons dans les Lettres de 1671 cette tension entre l’idée commune qu’un enfant ne compte guère et la nécessité, puisqu’il faut en parler, de trouver un mode d’expression adapté.  En quoi les lettres de 1671 vont-elles parvenir à trouver un langage qui hisse Marie-Blanche au rang de sujet, digne du cœur de sa mère et digne de l’art épistolaire de sa grand-mère ?

 

1 - La conquête de l’existence

2 - Un triangle féminin

3 - Marie-Blanche, objet d’art

 

 

1- LA CONQUETE DE L’EXISTENCE

 

a - Un être négligeable

La première évocation de MB se situe dans la lettre 3. Sa grand-mère répond aux félicitations que Bussy lui adresse pour sa naissance avec ces mots « C’en est trop pour une troisième fille de Grignan ». MB n’est donc pas un sujet qui mérite qu’on s’y arrête, même pour des compliments conventionnels. Son sexe, sa position dans la famille font que sa naissance ne constitue pas un événement. MB n’a donc pas d’emblée une place toute faite dans les lettres de la marquise. Les phrases qui l’évoquent sont courtes, stéréotypées – MB est « jolie », « aimable »- et apparaissent comme un rituel de clôture de la lettre, un passage obligé et conventionnel dont on se débarrasse avant de fermer son « paquet ». En outre, MB disparaît complètement des lettres à deux reprises, lors de la grande peur du pont d’Avignon et surtout, pendant plus d’un mois, quand doit naître son petit frère. Que de différences entre les deux enfants ! Nous remarquons que pour l’héritier mâle, le vocabulaire de l’épistolière se fait tout de suite plus varié : il est le « joli présent », le « petit bambin », le « petit blondin », « mon joli petit-fils », le « fortuné Louis de Provence ». Dans un univers où la lignée compte plus que l’individu, les prénoms apparaissent rarement, c’est une constante de l’œuvre mais le prénom du petit garçon apparaît alors que jamais celui de la petite fille ne naîtra sous la plume de sa grand-mère. L’amour pour le petit garçon est immédiat. « Vous l’aimez follement » écrit la marquise à sa fille. Louis-Provence terrasse la petite vérole à l’âge de trois semaines, autre Hercule dans son berceau mais MB n’évoque rien de si prestigieux. Il est intéressant d’étudier la logique des associations d’idées. Dans la lettre 42, MB est mentionnée juste après un paragraphe consacré à une poupée destinée à montrer une coiffure ! Pour sa grand-mère, il n’y a pas loin de la poupée au bébé. Dans le même ordre d’idées, on pense aux nombreuses lettres décrivant la parure, les premières robes de la petite fille. « Jolie », « parée », elle n’existe qu’à travers un critère esthétique.

 

b - La mesure des progrès 

En dépit de l’indifférence qu’elle semble susciter en tant que 3ème fille de la famille, MB va progressivement gagner sa place dans les Lettres. Les étapes de son éveil constituent un incontestable fil rouge de l’œuvre. Ses sourires, ses dents, son humeur, ses gazouillis « et titata, tetita, y totata » (p.382)  tout cela est scrupuleusement rapporté par la marquise. «  On m’embrasse, on me connaît, on me rit » (p. 378) Le pronom dit très bien que MB ne constitue pas encore un sujet.  Il y a de l’animalité chez l’enfant, on s’en « amuse »  (p.149, 378) comme d’un petit chien. « Elle me baise fort malproprement mais ne crie jamais » écrit le cousin Coulanges : on sent l’appréciation de qui n’a jamais vu d’enfant de très près.  Mais en s’éveillant, en devenant une « petite personne » (p. 245), MB va susciter l’intérêt de sa grand-mère. Sous la plume de cette dernière elle n’est plus seulement « jolie » ou « aimable », elle devient une « pataude blanche ». Certes, l’expression peut paraître péjorative mais enfin sortons-nous des formules figées. On peut parler d’une naissance épistolaire de MB quand, pour la désigner, Mme de Sévigné fait une trouvaille linguistique pour la désigner, elle et les sentiments qu’elle fait naître chez sa grand-mère. « C’est une chose ridicule que les petites entrailles que je sens déjà pour cette petite personne ». Une chose ridicule… à se demander si, dans le contexte dans lequel vit la marquise, aimer un petit enfant n’est pas se faire nourrice !  Visiblement contente de son expression, la marquise la reprend p. 285 « Cela est joli, de petites entrailles avec une robe ».   C’est ainsi que MB trouve sa place dans les lettres.

 

c - L’empire de marie-Blanche 

MB va occuper dans les lettres une place grandissante à proportion de l’affection croissante que lui porte sa grand-mère. Pourtant, au 17ème siècle, cet amour ne va pas de soi. Il n’est ni immédiat, ni inconditionnel. Le lecteur contemporain s’étonne de lire cette phrase adressée à Mme de Grignan : « Je sens que vous l’aimeriez ». Autrement dit, le contraire serait tout aussi possible. Début 1671, Mme de Sévigné n’éprouve encore rien « Mes entrailles n’ont pas encore pris le train des tendresses d’une grand-mère » (p.98). Tout commence comme un jeu, dans la lettre 16, Mme de Sévigné dit voir MB chaque jour « à l’âtre », c’est-à-dire comme font les nourrices. Deux remarques sur cette phrase : le moindre des pouvoirs de ce nourrisson est de transformer tout le monde en matrone (cf. lettres 42 et 107) mais elle en possède un plus grand encore c’est d’insuffler dans le style de sa grand-mère un vocabulaire nouveau. Par la suite, la marquise avoue « on s’y attache » (L.32), « je l’aime » (L.36). En Bretagne, séparée de sa « petite mie », la marquise est impatiente de la revoir. Après l’épisode du changement de nourrice, un basculement se produit. Alors qu’avant la lettre 32, Mme de Sévigné utilisait des déterminants possessifs de la deuxième personne du singulier « votre fille », elle se met à l’appeler très fréquemment « ma petite », « ma petite enfant », s’appropriant en quelque sorte ce nourrisson sans mère.

 

Transition : Mme de Sévigné se surprend donc à aimer sa petite fille. Cette situation normale est cependant délicate dans le contexte extraordinaire de la relation que la marquise entretient avec la comtesse de Grignan. Cette relation fusionnelle mais dans laquelle tout n’est pas non plus apaisé ou transparent va se trouver  modifiée par l’arrivée de ce nouvel actant. Dans une deuxième partie, nous verrons que Mme de Sévigné va développer une stratégie d’écriture complexe afin que, dans ce triangle féminin, chacune reçoive sa juste part d’affection.

 

 

2 - UN TRIANGLE FEMININ

 

a - Analogies et ressemblances 

L’identité de MB est tout d’abord établie par l’habituel jeu des ressemblances qui se joue autour de chaque enfant au berceau. MB semble d’abord ressembler à son père, M. de Grignan. Cette ressemblance est perçue comme fâcheuse par la reine Marie-Thérèse (L.30) qui semble dire par là que MB n’aura pas la beauté de sa mère et de sa grand-mère. Mais on peut aussi penser que cette ressemblance avec les Grignan exclut la petite fille du couple formée par les deux femmes : elle ne pourra rivaliser. Par la suite, cette ressemblance n’est plus mentionnée. Au contraire, si MB est « aimable » comme le portrait de Mme de Grignan que la marquise garde dans sa poche, elle est « gaillarde » comme sa grand-mère et a pris son nez, à tel point que MB semble l’enfant de ces deux femmes. La marquise ne dit-elle pas à sa fille « notre enfant » ? Retenons qu’aux yeux de Mme de Sévigné, MB n’est d’abord qu’une image de Mme de Grignan : « votre pauvre petite fille qui me représentait la mienne », « Votre fille pince comme vous » (p.348). En somme, parler de MB, c’est encore parler de Françoise de Grignan, c’est lui adresser à elle des compliments sur sa beauté.  Par ailleurs, cette relation à trois se complique du fait que l’enfant est séparée de sa mère et vit sous la garde de sa grand-mère. Tout naturellement, MB appelle « Maman tout court » sa grand-mère. A Mme de Grignan d’être maintenant exclue du trio. Il existe en effet une analogie dans la situation respective de MB et de Mme de  Sévigné, toutes deux sont en quelque sorte abandonnées par Mme de Grignan. Dans la lettre 11, quand Mme de Sévigné contemple sa petite-fille, c’est son propre sentiment d’abandon qu’elle contemple. Qui est qui dans cette relation ? Cela donne le tournis…

 

b - Hiérarchie des amours 

Mme de Sévigné aime sa petite-fille mais cet amour n’est rien en comparaison de celui qu’elle porte à sa fille, « J’aime votre fille à cause de vous «  (p. 98). L’affection portée à MB n’est que la conséquence logique de l’amour portée à Françoise-Marguerite, elle bénéficie d’un « trop plein de tendresse ». Cette affirmation est répétée trop souvent pour ne pas éveiller notre attention. C’est que les mots tendres avec lesquels la marquise parle de la petite fille contiennent une charge explosive. La lettre 42 est édifiante à ce propos : « Il est vrai que j’aime votre fille mais vous êtes une friponne de me parler de jalousie ». Mme de Grignan semble avoir mal réagi à une mise à l’honneur de MB dans la chambre de sa grand-mère (cf. lettre 40, du 26 avril). Malgré leurs dissensions, elle est jalouse de l’amour de sa mère et ne semble pas vouloir le partager avec une enfant qu’elle ne considère pas vraiment comme sienne. Mme de Grignan perçoit-elle MB comme un autre « rideau » qui la cacherait ? (cf. L13) En dépit des protestations d’amour de sa mère, Mme de Grignan ne semble pas assurée de son amour et voit en son propre enfant une menace.

 

c - Reflets de la froideur 

Venons-en maintenant à l’un des points les plus intéressants de notre étude. Quand nous lisons les lettres qu’adresse la marquise à Mme de Grignan entre février et décembre 1671, ce n’est qu’à trois reprises que Mme de Sévigné semble répondre à une question sur MB. Dans la lettre 67, il est question de ramener l’enfant auprès de sa mère, mais dans les faits, MB ne rejoindra Grignan qu’en 1673… La froideur légendaire de Mme de Grignan s’exerce aussi sur sa fille. Bien que faisant peu de cas de « l’amour maternel » qu’elle juge inférieur  à « l’inclination » (p. 286), la marquise remarque ce manque d’intérêt.  « Vous n’en faites pas grand cas » écrit-elle. Peut-être le déplore-t-elle.  On a vu dans la première partie que cette indifférence ne s’étendait pas à son petit garçon aussi a-t-on l’impression la mésentente entre mère et fille, l’incompréhension, se rejouent une génération plus tard. Mme de Grignan ne ressent rien pour son enfant, Mme de Sévigné en a conscience. Si elle-même  n’a pas été une mère exemplaire pendant l’enfance de Françoise-Marguerite, et si par ailleurs elle présente souvent la maternité comme un risque ou un malheur, ses lettres témoignent d’un effort constant pour éveiller les sentiments maternels de Mme de Grignan. « Votre fille est jolie », cette phrase et ses variations, nous la lisons dans presque chaque lettre. On a pu d’abord y voir une formule figée, celle qu’utilise une femme qui ne sait quoi dire sur un si petite enfant mais ces phrases, dans leur répétitivité, dans leur simplicité ne cachent-elles pas des injonctions ? Quand Mme de Sévigné dit que MB est « aimable », ce n’est pas un simple constat, il faut voir la force perlocutoire de cette phrase qui cherche à avoir un effet psychologique sur Mme de Grignan. « Aimable », MB est en réalité digne d’être aimée. C’est ce que les mots de Mme de Sévigné voudraient obtenir.

 

Transition : Les nouvelles de MB que la marquise envoie régulièrement à Grignan sont donc reçues par une mère bien indifférente à l’égard de son enfant. Même si la présence de l’enfant semble bien discrète dans les lettres, chacune plaide pour elle. Notre troisième partie montrera comment la marquise va essayer de toucher non seulement le cœur mais aussi l’esprit d’une mère en faisant de MB un véritable objet littéraire.

 

 

3 - MARIE-BLANCHE, OBJET LITTERAIRE

 

a - Trivialité de l’enfance 

La petite personne qu’est MB s’installe dans les lettres avec tout un cortège de thèmes qui lui sont associés tels que la recherche de la bonne nourrice, le passage des langes à la robe ou l’apprentissage maladroit du langage. Ces thèmes de l’enfance introduisent de la trivialité dans les lettres. Il est question du corps, d’un nourrisson qui « baise fort malproprement », d’une nourrice qui a du lait « comme une vache ». La marquise le dit dans la lettre 91, les réalités de l’enfance sont aux antipodes de la « préciosité ». Et voilà Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné déchoir de l'idéalisme de L'Astrée au réalisme bourgeois des Caquets de l'accouchée!Car si la marquise n’est pas prude et peut s’amuser à évoquer quelques réalités basses , si elle ne pense pas non plus à faire œuvre littéraire, elle a néanmoins le souci du style et du bien dire, le souci d’être spirituelle. Il y a donc un travail à faire, une réparation artistique à effectuer pour donner à ces thèmes de l’enfance une dignité épistolaire. Concluant un passage portant sur sa petite-fille, la marquise écrit « Voilà de terribles détails ». L’hyperbole est indice d’ironie : Mme de Sévigné semble gênée d’avoir évoqué si longuement quelque chose sans importance, aussi choisit-elle des mots en complet décalage avec le sujet abordé. Pour se fondre dans la lettre, les détails triviaux doivent se masquer en « terribles détails ». Nous allons voir que ce choix d’écriture va devenir plus systématique encore.

 

b - Un ton systématiquement décalé 

Le 17ème siècle voit encore l’enfant comme un adulte en miniature. Cela transparaît dans les Lettres de 1671, MB est souvent évoquée comme une grande personne, une personne importante. Prenons quelques exemples : elle est au centre d’une scène de dépit amoureux « Je suis fâchée contre votre fille. Elle me reçut mal hier ; elle ne voulut jamais rire » (L.29),  elle fait son entrée dans le monde  en faisant « grand bruit à Sucy » (L.58) et en recevant des visites « Ma petite enfant a été tout le jour dans ma chambre, parée de ses belles dentelles et faisant l’honneur du logis » (L.40) Mais pour Mme de Sévigné, il ne s’agit pas seulement d’une méconnaissance absolue de ce qu’est un enfant, elle a conscience du décalage qui s’installe, elle en est la maîtresse, elle le provoque pour que MB devienne le centre d’évocations plaisantes, mi- sérieuses, mi- comiques, destinées à faire sourire sa fille. Les termes employés pour désigner MB sont non seulement inadaptés mais la marquise lui prête aussi des intentions, des sentiments totalement imaginaires.  « Elle est méchante » écrit la marquise dans la lettre 90. Cette phrase est très riche qui métamorphose les inoffensifs pincements d’un bébé en manifestation de froideur et de « tigrerie ». En effet, MB pince comme sa mère au même âge. Par ses trois mots, la marquise fait sourire par l’évocation de cette cruelle au berceau, elle tente de tisser le lien entre mère et fille en soulignant leur ressemblance et sous couvert de la fantaisie, fait reproche à la comtesse de son manque de chaleur. On conviendra qu’il s’agit là d’un dispositif énonciatif complexe.

 

c - Marie-Blanche, un personnage 

La petite MB est donc systématiquement mise en scène de façon à devenir un sujet intéressant, de façon aussi à conserver aux lettres une certaine homogénéité. A deux reprises, ce procédé de mise en valeur  va être davantage développé, à tel point que  MB va devenir le centre de deux œuvres d’art. Dans la lettre 109, la phrase « Voilà votre fille au coin de mon feu, avec son petit manteau d’ouate » est plus encore que la description de la petite fille, la description d’un tableau. Dans l’ouvrage cité en introduction, Ph. Ariès rappelle que c’est au 17ème que des portraits d’enfants seuls ont commencé à être réalisés. L’enfance, le coin du feu, il s’agit d’une scène familière et touchante. L’exemple le plus significatif de cette tension vers  se trouve à la lettre 32. Isolons un passage qui nous mènerait de « Pour votre enfant, voici de ses nouvelles » jusqu’à « voilà comme nous disposons de vos affaires ». Ce passage constitue une saynète extrêmement vivante grâce au dialogue, au présent de narration et à l’enchaînement paratactique des phrases.  Alors que tous ces événements se déroulent en plusieurs jours, Mme de Sévigné en fait un véritable tourbillon qui semble se conclure en quelques heures. Mme de Sévigné y joue en outre son La Bruyère par l’opposition de deux «  caractères », l’indécision de Mme du Puy-du-Fou qui fait l’objet d’une petite pointe satirique « parce qu’elle ne conclut jamais, elle disait qu’il fallait voir » et qu’elle compare à son propre esprit d’initiative « Et quoi voir, lui dis-je, Madame ? ». Cette saynète qui pourrait s’intituler Le complot des nobles matrones, possède bien entendu une grande puissance comique qui naît de la transformation de ces grandes dames en matrones et de la conspiration qui vise à ramener la nourrice  -personnage considérable- chez Mme de Bournonville sans froisser ses sentiments.  MB provoque d’ailleurs ce que l’on pourrait appeler un effet gynécée :par le soin qu’elle porte à MB, Mme de Sévigné quitte la société mixte et donc forcément galante des salons pour  un entourage entièrement féminin, celui qui entoure la petite enfance. Dans toute cette affaire, objectera-t-on, MB est bien passive, bien invisible. Certes, elle n’est alors qu’une enfant de 5 mois et c’est incontestablement la marquise qui tient la vedette dans cette comédie mais sans MB, point de saynète. Elle en est le point de départ  « La petite diminuait » et la justification et apparaît au dénouement, satisfaite « Ce fut un plaisir de la voir téter ; elle n’avait jamais tété de cette sorte ». L’insertion de cette amusante saynète dans les lettres, qui nous fait frôler la frontière entre art épistolaire et art littéraire est donc bien à porter au crédit de Marie-Blanche.

 

Parler d’un petit enfant ne relève pas au 17ème siècle de l’évidence.  La séparation entre Mme de Grignan et sa fille impose à la marquise, qui a la garde de l’enfant, d’en parler régulièrement.  Mme de Sévigné va assurer cette mission de façon de plus en plus brillante, à mesure que s’éveille son affection pour cette enfant. Dépassant les écueils qui menacent qui veut parler d’un si petit enfant, stéréotypes, trivialités, ennui, elle va dresser MB au rang de petit personnage, de sujet  digne d’intéresser  à la fois une lectrice exigeante mais aussi une mère a priori peu affectée par la séparation. Mme de Sévigné aura-elle réussi à faire entrer MB sinon par la porte du cœur, du moins par celle de l’esprit dans les préoccupations de Mme de Grignan ? Rien n’est moins sûr… Roger Duchêne s’est interrogé sur le sort ultérieur de MB, entrée en religion très tôt. Il semblerait que cette vocation monastique ne soit pas sans lien avec le désir de Mme de Grignan de se débarrasser de cette « troisième fille de Grignan ».  La place qu’occupe MB dans les lettres et qu’un lecteur moderne trouve petite n’est pourtant rien au regard de l’obscurité dans laquelle sera plongée sa vie par la suite.  FV


champaigne.jpgDétail d'un tableau de Philippe de Champaigne: "Les enfants Habert de Montmort" (1649)