Programme 2013 : Leçon

> Rousseau - Les Confessions (T.1 à 6)

 Les Confessions pp. 301-312 "J'arrivai donc ... dont j'étais l'enfant"

Etude litteraire

 

 

Le livre VI des Confessions de Rousseau est celui de l’idylle des Charmettes, cette période de bonheur pastoral auprès de Mme de Warens. Mais une phrase « Ici commence le court bonheur de ma vie » (p. 259) nous avertit tout de suite qu’après le paradis vient la chute.  Aux Charmettes, la santé de Rousseau n’est pas bonne : il se convainc qu’il a un polype au cœur, aussi Mme de Warens l’envoie-t-elle à Montpellier, grande cité médicale, pour se soigner. Sur le chemin, Rousseau a une aventure avec Mme de Larnage qui l’engage à venir auprès d’elle à Bourg-Saint-Andéol mais Rousseau, honteux de cette tromperie, décidé désormais à préférer son devoir au plaisir reprend le chemin des Charmettes pour retrouver Maman. Le passage que nous étudions dans cette étude littéraire, situé à la fin du livre VI couvre 3 années de la vie de Rousseau, de février 1738 quand il revient de Montpellier à mai 1741 quand il revient de Lyon. L’extrait possède donc une structure circulaire puisque le séjour à Lyon chez M. de Mably est encadré par deux retours à Chambéry, retours tous deux manqués, tous deux déceptifs. Ce bégayement de l’action, cette répétition du même et de l’échec montrent que le jeune Rousseau est parvenu à la fin de quelque chose.  En quoi ces pages expriment-elles une tension entre le constat que fait Rousseau de la dégradation de l’idéal et ses tentatives pour restaurer cet idéal ?

 

Plan

1-      La fin de l’idylle

2-      Le temps suspendu

3-      La vérité sur maman ?

 

1-      LA FIN DE L’IDYLLE :

a-      Un retour déçu

La première partie des Confessions de Rousseau est scandée par les retours du jeune homme auprès de Mme de Warens. Parfois le retour est réussi, comme au retour de Turin et se reproduit la magie de l’accueil, parfois le retour est manqué, comme au début du livre IV, quand Maman est physiquement absente. Dans le passage que nous étudions, Mme de Warens est là physiquement mais le décalage entre l’attente de Rousseau et la réaction de sa bienfaitrice est abyssal. Si l’on compare avec d’autres scènes analogues, retrouver Maman est un rituel en trois temps : il faut « arriver », la « voir » et  « se jeter à ses pieds ».  Des indices tels que le verbe « voir » au conditionnel puis en structure négative sont de mauvaise augure. Le texte déploie une mise en scène de l’impatience qui s’exprime par des manifestations physiologiques « le cœur me battait, essouflé », nous suivons Rousseau dans la maison  «  dans la cour, sur la porte, à la fenêtre », nous montons avec lui, là ou nulle fête n’est préparée. Cette absence n’est pas un malentendu puisque  Maman a bien « reçu » la « lettre du jeune homme. Mais il n’y a plus rien à fêter et Rousseau est désormais indésirable. Le cœur battant de Rousseau , l’élan lyrique de ce rythme ternaire « cette chère Maman, si tendrement, si vivement, si purement aimée » se brisent contre la tiédeur des mots de Mme de Warens « Ah ! te voilà…te portes-tu ? » mots plus neutres  en effet que les premiers qu’elle lui adresse à la p. 52 quand il n’est encore pour elle qu’un inconnu. Rousseau narrateur donne à cette situation une tonalité tragicomique. En une phrase « je lui demandai si elle…lui dis-je » se dresse l’instantané d’une scène de dépit amoureux. Rousseau arrivait dans l’état d’esprit du coupable pénitent mais, par un renversement de situation, il se retrouve le trompé, « je trouvai ma place prise ». Notons l’ironie tragique de l’expression « exactement à l’heure », qui souligne cruellement la fin de l’accord, de l’harmonie entre les âmes. Aux Charmettes, la fusion amoureuse a pris fin.

 

b-      La désillusion sentimentale

Sans qu’une volonté de rupture soit jamais verbalisée par Mme de Warens qui dit qu’au contraire « son tendre attachement pour « Rousseau » ne pouvait diminuer ni finir qu’avec elle », plusieurs signes indiquent la fin de la fusion amoureuse. Rousseau ressent un « refroidissement », « un éloignement de cœur », elle parle d’un ton « tranquille » et cette absence d’effusions offre un contraste brutal avec la force des sentiments de Rousseau. Des termes tels que « réduit à me chercher un sort indépendant d’elle », « elle avait beau séparer son bonheur du mien » prouvent qu’un processus de séparation se met en place. Cette séparation se confirme quand la communication en vient à s’éteindre « Elle ne s’épanchait plus avec moi », quand la sexualité et la complicité s’effacent aussi « Ma présence lui faisait plaisir encore mais elle ne lui faisait plus besoin ».  La relation entre Mme de Warens et Rousseau entre dans l’opacité « l’éclaircissement finit là » et même l’aveu de Mme de Warens (p. 305) ne parviendra  pas à rétablir la transparence. Entre eux désormais, il y a l’obstacle du non-dit, et un obstacle tout aussi sérieux, celui de Wintzenreid, nouveau rival de Rousseau. Face à Wintzenreid, le statut de Rousseau se dégrade, il devient « surnuméraire », il n’est bientôt plus « rien ». Rousseau fait un portrait péjoratif de cet homme qui lui est opposé en tout. A ses yeux, Wintzenreid , le séducteur fanfaron « Ne nommant que la moitié…coiffé les maris » est « à faire mourir de rire ». Le champ lexical qui le caractérise est celui du bruit » Il se faisait entendre, crier à pleine tête,  le bruit de dix ou douze, tintamarre », bruit qui dévoile sa vacuité intérieure. Dans le domaine des activités de la campagne, Rousseau et Wintzenreid forment une parfaite antithèse : Wintzenreid est dans l’action, son affaire est de « scier ou fendre du bois » tandis que J.J s’installe dans la déploration. On lit : « J’allais soupirer et pleurer à mon aise au milieu des bois ».  Bref, d’un côté, l’homme des Géorgiques, de l’autre, l’homme des Bucoliques .Le bruyant Wintzenreid tend cependant à Rousseau un miroir peu flatteur. Ce dernier n’est qu’ un «  pédant importun qui n’a que du babil ». Entre les deux hommes, le ridicule est donc partagé mais le mot « importun » dit peut-être ce que dit par ailleurs Maman : Rousseau ne sert à rien aux Charmettes.  N’ayant plus sa place propre, Rousseau essaie d’investir celle de Claude Anet mais cela ne fonctionne pas. De la position de maître, il retombe donc à celle de rival malheureux.

 

c-       L’exclusion du paradis

Cette exclusion du paradis des Charmettes se fait en deux temps. Tout d’abord, encore physiquement présent à Chambéry, Rousseau se retrouve « isolé et seul ». Puis, il quitte les Charmettes pour la maison de M. de Mably à Lyon. De ce départ, Rousseau nous apprend que Maman « le favorisa ».  Derrière l’euphémisme, on comprend que c’est bien Maman qui le pousse activement hors des Charmettes. Le séjour à Lyon peut vraiment se lire comme la sortie d’un univers mythique. En effet, il faut y travailler (l’âge d’or ne connaît pas le travail), et surtout, il n’est plus possible d’avoir une jouissance immédiate des choses. Pour se faire de « bonnes petites buvettes », Rousseau  qui a retrouvé chez M. de Mably l’univers de la propriété ,doit voler et que de tracas avant de pouvoir acheter une petite brioche ! Le séjour chez M. de Mably apparait aussi comme le miroir grossissant des défauts et des échecs de Rousseau : la « rage » qu’il parvenait à contenir à Chambéry se transforme en « fureur » face aux enfants Mably et l’échec de Rousseau en tant que pédagogue avec ces deux enfants confirme celui  évoqué p. 306 avec Wintzenreid. Rousseau n’est pas à la hauteur de son modèle Claude Anet.  Après ce départ des Charmettes, le temps du bonheur apparaît donc comme révolu. Le texte est irrigué par le lexique de la disparition et de la mort : « En un moment, je vis s’évanouir pour jamais tout l’avenir de félicité que je m’étais peint. Toutes les douces idées que je caressais si affectueusement disparurent, la jeunesse me quitta pour jamais, dès lors, l’être sensible fut mort à demi ».  C’est donc bien d’une mort psychologique que nous parle Rousseau. Après le paradis, il n’y a plus de vie dans laquelle se projeter, ne demeurent que « les tristes restes d’une vie insipide », et comme la situation de Rousseau, le rêve aussi se dégrade. Ne pouvant plus prétendre vivre avec Mme de Warens, Rousseau serait « content de mourir » après l’avoir revue une fois.

T : En quittant les Charmettes, Rousseau doit renoncer au rêve d’une vie passée avec Maman. Mais pour autant, nulle perspective future ne se met en place. Au contraire, le temps s’arrête, menacé par le désir d’un éternel retour aux Charmettes.

 

2-      LE TEMPS SUSPENDU:

a-      Une expérience tragique du temps

Les pages étudiées nous mènent de février 1738 à mai 1741, plus de trois ans en seulement dix pages. C’est que, pour Rousseau, le temps s’est arrêté et que le vide envahit sa vie. Si le séjour chez M. de Mably recèle un peu plus  d’anecdotes, à Chambéry, la souffrance de l’abandon absorbe tout. S’ensuivent des passages élégiaques dans lesquels Rousseau, privé de sa vie, « spectateur oisif et tranquille admirateur » de son rival se complait dans cette douleur qui est encore un lien avec Maman  « Je m’accoutumai…livres » et y trouve matière à une élévation morale. « Ainsi commencèrent à germer…adversité ». Le vide de cette période est encore dramatisé par Rousseau narrateur qui oublie de dire qu’à cette époque il écrivit « Le verger de Mme de Warens » et fit quelques voyages, privilégiant une image de lui-même en homme tout entier plongé dans la souffrance. Le texte nous donne l’image d’une temporalité tragique car l’avenir est barré, le séjour à Lyon ne lui permet pas de prendre son indépendance, de construire une vie loin de Maman. Le tragique est tout entier inscrit dans la structure même du texte, le second retour (p. 312) cherchant à inverser le cours des choses et ne parvenant qu’à obtenir une confirmation de la mort du bonheur. Rousseau-narrateur souligne le manque de clairvoyance de Rousseau-personnage par des marques stylistiques  telles que le présent de narration, la parataxe et l’hyperbole « Je quitte tout…à ses pieds », marques qui dénoncent l’impétuosité aveugle et irréfléchie du jeune homme. La sortie du paradis des Charmettes va donc de pair avec l’entrée dans une temporalité tragique ou le rituel du retour échoue désormais à ressusciter la rencontre primordiale.

 

b-      Retrouver le temps perdu

Dans les pages que nous étudions, le mouvement de retour vers le passé est donc constant. Retourner dans le passé apparaît comme la solution au malheur présent. Nous évoquerons la tentative de Rousseau d’occuper dans ce nouveau trio amoureux la place de Claude Anet « faire en un mot… occasion pareille », la nostalgie des Charmettes que nourrit sans doute l’échec de son expérience de pédagogue « Le souvenir de mes chères…tout cela », et surtout le retour de 1741, si parallèle à celui de 1738, mais plus marqué encore par l’illusion. La perte du bonheur est ressentie de façon émotionnelle lors du retour de 1738, elle est confirmée par celui de 1741 et Rousseau prend conscience de l’irréversible. Rousseau croit pouvoir maîtriser la situation « Je me disais que… je n’avais fait » mais la réalité de la perte lui revient sous la forme d’une douloureuse prise de conscience « Affreuse illusion des choses humaines. Je vais rechercher… renaître ». Les comparaisons entre passé et présent sont systématiques et toujours à l’avantage du passé qui seul contient le bonheur. « Je me sentis isolé et seul dans cette maison dont auparavant j’étais l’âme ».

 

c-       La volonté de rester un enfant

Le mouvement de retour dans le passé ne s’applique pas qu’à un désir de revenir quelques années en arrière – 1735 ou 1736 – au moment de ce que l’on a appelé l’idylle des Charmettes. De façon plus significative encore, notre passage montre que J.J Rousseau veut rester un enfant. Regardons ces expressions qui le désignent : « Petit, j’étais un enfant, un véritable fils, c’est moi qui étais l’enfant, la maison dont j’étais l’enfant » et examinons son comportement : les chapardages à Lyon nous ramène au livre I quand Rousseau, alors beaucoup plus jeune, vole des pommes chez son maître (cf. p36) et la découverte de la relation charnelle entre Maman et Wintzenreid lui donne une parfaite excuse pour revenir à une relation chaste et échapper par là à une situation ambiguë. Cette volonté de rester un enfant explique sans doute son échec chez M. de Mably. En effet, comment occuper une position d’autorité, comment être un substitut du père (remarque valable aussi pour C. Anet) quand on n’aspire qu’à être le fils ? Rousseau analyse a posteriori les causes de son insuccès. Les qualités de la maturité, « le sang-froid », il ne les possède pas et se laisse aller à un débordement émotionnel qui le rend plus enfant que ses élèves. Rousseau, quand il quitte Lyon, a 28 ans mais il semble être resté bloqué à un stade enfantin.

T : Si le paradis des Charmettes se refuse désormais à Rousseau et cela d’une façon irréversible, la menace de la dégradation pèse aussi sur la figure de Mme de Warens. Nous verrons dans une troisième partie comment les pages étudiées font l’esquisse d’une nouvelle Mme de Warens, elle aussi moins idéale.

 

3-      LA VERITE SUR MAMAN ? 

a-      Une nouvelle image de Maman

Dans cette fin du livre VI s’esquisse une nouvelle image de Maman. « Ne m’avez-vous tant de fois conservé la vie que pour m’ôter tout ce qui me la rendait chère ? J’en mourrai » : si Maman, idole toute puissante, était dispensatrice de vie, elle l’est aussi de mort. Elle plonge Rousseau dans un profond désarroi en le trahissant, mais aussi en lui faisant d’inhabituels reproches sur son manque de compétences dans l’économie domestique (cf. p. 305 « me reprochant ma négligence dans la maison »). Plus largement, on peut dire que Maman se détache de toute sentimentalité. Aux protestations douloureuses de Rousseau quand il apprend son infortune, elle répond « qu’on ne meurt point de ces choses-là ».  Sa relation avec Wintzenreid semble elle aussi indiquer que Mme de Warens n’est pas une femme de sentiment. A la page 304, Rousseau indique que pour retenir cet homme si précieux à sa propriété, elle employa «  tous les moyens ». Autrement dit, Mme de Warens  -  qualifiée p. 225 de « peu sensuelle » - ne couche pas avec Wintzenreid parce que ce jeune homme lui plaît mais avant tout car sa présence est,  contrairement à celle de Rousseau, utile à son exploitation. Où est la tendre Maman derrière cet échange scabreux entre une  efficace main d’œuvre d’une part et des relations sexuelles d’autre part ? Certains pourraient y voir une forme de prostitution. Anne Noschis (cf. biblio) souligne quant à elle l’analogie entre l’attitude de Mme de Warens avec Wintzennreid et celle de Mme de Larnage avec le riche marquis de Torignan. Là encore, le retour de Rousseau aux Charmettes, motivé par le sens du devoir et l’amour pur pour  Maman reçoit un éclairage bien ironique.

 

b-      Préserver une figure idéale

En dépit de l’éloignement de Maman, en dépit de ce commerce choquant avec Wintzenreid, Rousseau jamais n’accable sa protectrice. Au contraire, il semblerait que c’est à ce moment de son ouvrage que Rousseau se fait le plus élogieux, le plus emphatique quand il s’agit d’évoquer Mme de Warens. « Eh ! combien votre aimable et doux caractère, votre inépuisable bonté de cœur… vertus » (p. 304), « son excellent cœur » (p. 312) Elle demeure l’idole  que l’on veut « honorer », pour laquelle on ressent de « l’adoration », l’idole devant laquelle on tombe à genoux (p. 301 et 312). Il est visiblement impossible à Rousseau de dire du mal de Maman et l’on peut interpréter sa décision de ne plus la posséder comme une tentative pour la conserver à une place ou il est plus facile de l’idéaliser. Par sa propre abstinence, Rousseau redonne à Maman un peu de sa pureté perdue.  Nous avons vu par quelques exemples que l’hyperbole était le signe de cette célébration mais, dans le texte, les véritable marques stylistiques de l’idéalisation sont au contraire l’euphémisme et autres formes de l’atténuation. A la page 303, Rousseau écrit : « Tel fut le substitut qui me fut donné pendant mon absence » : la tournure passive « qui me fut donné » efface l’agent responsable, autrement dit Mme de Warens , et efface aussi sa cruauté et la dimension scabreuse de la situation. Autre exemple d’euphémisme, quand Rousseau évoque son départ pour Lyon, il dit de Maman quelle « le favorisa », autrement dit qu’elle agit activement pour le pousser en dehors des Charmettes. Cette volonté manifeste qu’a Maman d’éloigner Rousseau (et visible dans leur correspondance…), ce dernier préfère la taire ou la nier, ce qu’il ne faisait d’ailleurs pas dans « Le verger de Mme de Warens », texte empli d’une certaine amertume.

 

c-       Renouvellement du pacte autobiographique

L’écart entre le discours sur Maman et la réalité vécue aux Charmettes entre 1738 et 1741 nous pousse à nous reposer la question cruciale dans l’autobiographie de la vérité. A priori, Les Confessions semblent témoigner ici d’une certaine réécriture de l’Histoire comme l’attestent la comparaison entre, d’une part ces pages des Confessions et, d’autre part, la correspondance de Rousseau et « Le verger de Mme de Warens » Et pourtant, nous lisons un paragraphe « Oh ! si les âmes…comparer à vous »  (p. 303-304) étrangement semblable au paragraphe 3 du livre I (p. 4 et 5)à cela près qu’il concerne cette fois non plus Rousseau lui-même mais Mme de Warens. Ce nouvel engagement de transparence et de vérité intervient justement quand cette transparence semble perdue entre Rousseau et Maman. Rousseau croit avoir accès à sa propre vérité intérieure et il croit donc aussi, au nom de leur ancienne fusion, au nom de leur gémellité, pouvoir transcrire la vérité intérieure de Mme de Warens. Doit-on pour autant le suivre sur ce point ? Cela n’est pas certain. D’autre part, nous retrouvons la distinction habituelle chez Rousseau entre « erreurs » et « fautes ». Dire la vérité sur Mme de Warens revient finalement à la disculper. Si on lit attentivement la page 304, on voit que Maman n’a pas à se reprocher d’entretenir un commerce charnel avec plusieurs hommes mais seulement une forme de naïveté. « Tout ce tintamarre en imposa à ma pauvre Maman ; elle crut ce jeune homme un trésor pour ses affaires » : Rousseau se plaît à décrire une Mme de Warens victime, abusée par les talents de bucheron de Wintzenreid. Tout comme lorsqu’il avoue ses propres fautes, Rousseau ajoute à la révélation de la faute sa minoration.

 

 

La fin du livre VI nous ramène donc à la fin du livre I : pour la seconde fois le paradis de l’enfance se ferme pour Jean-Jacques Rousseau, le retour de 1738 est donc bien un « moment funeste ». Les pages 301 à 312 de l’œuvre montrent la tentative désespérée de Rousseau pour conserver ou rattraper ce temps perdu. En effet, cet éternel retour aux Charmettes qui devrait magiquement renouveler le coup de foudre initial est équivalent au déni des fautes de Mme de Warens ; dans les deux cas, il s’agit soit de restaurer une image maternelle idéale  soit de revenir dans un passé idéalisé qui seul contient le bonheur. En outre, ces pages des Confessions sont très riches de ce qu’elle ne disent pas clairement, que Rousseau aux Charmettes est un poids mort pour Mme de Warens, que celle-ci échange des services sexuels contre des talents de contremaître,  que l’amour entre Petit et Maman connaît lui aussi l’outrage du temps. La vérité qui s’exprime dans les Confessions doit peut être se chercher davantage dans les euphémismes et les non-dits que dans les déclarations d’intention d’un Rousseau tenté de réécrire l’histoire quand il s’agit d’évoquer sa protectrice.  Le projet de Rousseau d’aller à Paris faire connaître son système de notation musicale fera-t-il sortir l’enfant qu’il est encore du temps cyclique de l’éternel retour aux Charmettes pour enfin se projeter dans l’avenir ?  FV