Programme 2013 : Pistes pour une leçon

> Mme de Sévigné - Lettres de l'année 1671

"Tout cela est comme Mme Robinet"

Pistes pour une leçon

 

Comment aborder un tel sujet ? Il faut avant tout situer la citation dans l’œuvre, l’éclaircir, voir dans quel contexte elle apparaît et la problématiser pour montrer à quel elle fait sens pour l’ensemble des lettres de 1671.

 

Cette phrase se situe à la fin de la lettre 12, c’est la deuxième lettre qu’envoie la marquise à sa fille alors dans son périple vers Grignan. Comme nous l’apprend la note de la p.419, Mme Robinet est une sage-femme que la comtesse de Grignan avait tardé à faire appeler lors de la naissance de   Marie-Blanche en 1670. Un an auparavant, la comtesse de Grignan avait fait une fausse-couche à  Livry et ces deux moments périlleux se superposent sans doute dans l'esprit de la marquise pour accroître son inquiétude. En rappelant cet événement, Mme de Sévigné formule un reproche et une inquiétude : Mme de Grignan, face aux périls du voyage se montre encore une fois insouciante et inconséquente. Et cet avis maternel sera confirmé par l’épisode du pont d’Avignon ! Cette phrase souligne donc  à quel point l’une des premières fonctions des lettres sera d’inciter Mme de Grignan à être prudente (Je tremble pour votre santé p. 185), à lui donner des conseils pour bien se porter (Ne dansez point… p.194), les deux principaux étant d’éviter les émotions et de limiter les déplacements. Car la citation de la lettre 12 est intéressante aussi dans la mesure où elle établit une comparaison entre les dangers du voyage (situation de Françoise de Grignan au moment où elle reçoit cette lettre) et les dangers des couches (rappelés par la personne de Mme Robinet) L’angoisse maternelle se fixe sur ces deux points, moments périlleux par excellence. On comprend que l’accouchement de 1670 a dû constituer un événement traumatique pour que la marquise y revienne dans un tout autre contexte. On retrouvera cette assimilation entre accouchement et voyage à d’autres moments dans l’œuvre (cf.91 Je crois que le coadjuteur a été noyé sous le pont d’Avignon… votre première grossesse). Derrière chaque allusion à Mme Robinet, il y a la peur de voir Françoise de Grignan mourir en couches.

 

Chacune des lettres formule de façon litanique et obsessionnelle l’espoir que Mme de Grignan se porte bien et prenne soin d’elle (Je vous épargne mes éternels recommencements sur le pont d’Avignon p.90) .  En creux, les lettres dressent donc d’elle le portrait d’une imprudente qualifiée de brave, hardie et téméraire, qualités peu féminines tournées en dérision p.99 à travers le personnage de Scaramouche. Selon sa mère,  la comtesse se conduit comme la femme d’un colonel suisse (p.385) et c’est sans doute cette folle attitude qui, nourrissant les rêveries de la marquise, lui fait imaginer sa fille chevauchant l’hippogriffe. Ces portraits de Mme de Grignan, si décalés par rapport à sa réputation de beauté, d’esprit et de distinction aristocratique constituent un premier élément comique. La gronderie maternelle tente de se dissimuler derrière la satire.

 

Nous touchons là un point important : comment exprimer son inquiétude, lettre après lettre, comment enjoindre la comtesse d’être prudente sans la lasser et l’agacer ? La marquise a conscience de ce risque quand elle dit p. 173 Conservez-vous, ma chère bonne, c’est ma ritournelle continuelle, la rime faisant passer le précepte avec elle pourrait-on dire en paraphrasant La Fontaine. Observons d’ailleurs que des recommandations aussi explicites que  Je vous recommande la santé de ma fille ou Ne faites point comme au pont d’Avignon ne sont pas adressées directement à Mme de Grignan mais à son époux. Une médiation est nécessaire.  Il y a là double contrainte car Mme de Sévigné le sous-entend clairement, Mme de Grignan se comporte en enfant et a besoin de sa mère. Elle s’adresse cependant à une adulte avec qui les relations ne furent pas toujours faciles. La citation qui nous est donnée va nous permettre de comprendre quelle solution adopte la marquise face à ce problème. En effet, cette première référence à Mme Robinet en inaugure d’autres : la sage-femme va être citée p.79, p.178 et p.364. Prononcer ce nom vaut une longue recommandation, permet de rester dans l’allusion, de ne pas peser. En outre, il est fort à parier que sans son patronyme amusant Mme Robinet eut connu une moindre célébrité dans les lettres. Ce nom est l’occasion d’un jeu de mots p. 178 : Mme Robinet n’y voyant goutte, p. 364, la sage-femme  devient proverbiale, Mme de Sévigné évoquant des détails dignes de Mme Robinet. Son nom introduit dans les lettres un comique de répétition, elle appartient à un fonds commun entre la mère et la fille qui nourrit la complicité de qui s’entend à demi-mot.

 

Mme de Sévigné est donc prisonnière de deux injonctions contradictoires, son rôle de mère la pousse à multiplier les conseils mais l’éthique de l’écriture épistolaire l’incite aussi à plaire, à ne pas ennuyer. Comment exprimer son inquiétude ? C’est l’un des enjeux des Lettres de 1671, année d’un voyage et d’un accouchement. Pour traiter cette leçon, nous pourrions donc retenir la problématique suivante : « Dans quelle mesure les Lettres de 1671 réussissent-elles à enjoindre Mme de Grignan à la prudence tout en la faisant sourire ? » On suivrait alors le plan suivant :

 

1-     Portrait de Mme de Grignan en imprudente

2-     Dire son inquiétude : entre recommandations et nécessité de plaire

3-     Mettre au monde : une angoisse obsessionnelle

 

FV